27 Décembre 1943

 

                                                 27 décembre 1943  -  27 décembre 2013

    "  70 ans ont passé et il me revient à l’esprit un souvenir. Ce souvenir je veux le raconter." Raoul Massétat.

Nous étions en pleine période de la guerre 40-45. A l’époque beaucoup de jeunes étaient réquisitionnés par les troupes d’occupation, ou même par les milices françaises pour aller travailler en Allemagne dans des usines d’armement.
Pour ces jeunes qui partaient dans ces usines, une condition inacceptable : travailler pour l’ennemi.
Un risque permanent : se trouver sous un bombardement des alliés.
Donc pour échapper à tout cela beaucoup de jeunes, s’ils le pouvaient se réfugiaient souvent chez  des amis, ou dans la famille éloignée de leur domicile. Ils le faisaient souvent sous un faux nom.
A Lacajunte mes plus proches voisins, la famille Dubaquier, Gabriel et Marthe les parents, avait des cousins à Tarbes.
Ces cousins avaient une fille du nom de Jeannine qui fréquentait (terme de l’époque) un jeune homme instituteur de son métier et du nom de Marcel Chourry, rebaptisé Marcel Carrère pour la circonstance Marcel avait été retenu pour partir en Allemagne. Pour mettre à exécution ce refus il s’était réfugié à Lacajunte, dans la famille Dubaquier, chez les cousins de sa fiancée.
Nos deux familles vivaient très proches et Marcel en était devenu très vite un membre à part entière.
Nous étions au début du conflit, les mois passaient et Marcel était bien camouflé dans la famille Dubaquier.
Pour nous les petit écoliers nous regardions  Marcel avec beaucoup de déférence : il était instituteur.
Il participait tout de même aux activités des jeunes de la commune. Il était aimé et apprécié. Il participait aussi aux travaux des champs, puisque l’activité de nos parents n’était que l’agriculture.
Il y avait aussi à Lacajunte deux autres « réfractaires » comme Marcel. Ils étaient aussi très bien intégrés dans la vie de la commune.

Un beau jour Marcel et Jeannine décidèrent de se marier.
Cette décision était tout à fait logique, mais encore fallait il trouver le lieux des festivités. Le mariage devait aussi se faire sans fête, les festivités étaient interdites, surtout la musique et le bal.
Marcel et Jeannine décidèrent tout simplement de se marier à Lacajunte et d’organiser leur mariage chez Dubaquier. Quelle aventure… !
Ils étaient décidés à braver toutes les interdictions afin d’organiser ce mariage comme si rien n’était interdit, donc d’inviter beaucoup de monde, comme cela était la tradition.
La date en fut retenue, ce fut le 27 décembre1943.
L’organisation se mit en place bien longtemps avant cette date et plus d’une centaine de personnes furent invitées.
Mais comment organiser les repas et le bal dans les locaux de l’exploitation. Ces locaux n’étaient pas ceux d’aujourd’hui et étaient utilisés à autre chose. L’approvisionnement pour les repas posait moins de problèmes, il y avait dans toutes les fermes suffisamment de  volaille et autres produits. Les personnes du voisinage pouvaient se mobiliser pour préparer le festin.
Après réflexion il était décidé que les repas  se feraient dans la grange de chez Massetat et le bal dans la grange de chez Dubaquier. Quel travail en perspective pour rendre ces locaux opérationnels. Souvent ils étaient encore  occupés par du maïs à dépouiller et autres encombrements.
La perspective de cette fête était vécue avec tant de joie, que rien ne paraissait impossible. Les risques aussi étaient grands, car braver toutes les interdictions, c’était aussi en braver les conséquences. Celles-ci pouvaient être désastreuses.
De plus on se préparait à festoyer alors que la quasi-totalité des gens des villes en étaient réduits à se battre pour trouver le minimum à manger.
 Il ne faut pas oublier que nous étions en plein cœur de la guerre et que c’était le mariage d’un « réfractaire »
Peu importe on avançait, en pleine inconscience et en pleine euphorie.
J’avais douze ans à l’époque et avec mes petits voisins Robert, Michel et Marcel Lagüe nous avions, dans notre esprit, quitté l’école bien avant les vacances de Noël’ pour commencer la fête
Le grand jour approchait et les préparatifs avançaient. Nous étions en plein cœur de l’hiver, il faisait froid et il neigeait.
Je me souviens que le 24 décembre les voisines s’étaient réunies pour préparer les « pastis » ( les gateaux) et faire le pain, dans le four de chez Dubaquier. Ce travail avait duré toute la journée et tard le soir.
Je me souviens très bien qu’avec mes trois voisins nous jouions ce soir  là dehors dans la neige et je me souviens aussi des cloches de l’église de Lacajunte qui carillonnaient pour appeler à la messe de minuit le soir de Noël. Il faisait un très beau clair de lune.
Bien sûr que tout le monde avait laissé son travail de préparation pour y assister.
Les deux jours suivants, Noël inclus, les préparatifs allaient bon train. Les granges avaient été débarrassées de tout ce qui pouvait gêner. Les murs avaient été badigeonnés à la chaux et ces bâtiments destinés uniquement à l’exploitation, avaient d’un seul coup pris eux aussi un air de noce.
Les voisins allaient avec un attelage et le « bros » (remorque de l’époque) récupérer dans la commune les longues tables à traîtaux (elles servaient dans chaque famille au moment des différentes circonstances, fêtes, ou entraide) pour mettre en place la «  salle à manger »
La pause de ces tables n’était pas toujours très faciles. Les sols étaient en terre battue, donc pas très plats et pas toujours de niveau. Des calles en bois réglaient presque toujours ces difficultés.
Les nappes en papier n’existaient pas, donc chaque famille prêtait ses nappes en tissu. On imagine les difficultés du moment, mais on trouvait toujours une solution et dans la bonne ambiance. Tout le monde, dans cette période sombre étant tellement heureux de penser, inconsciemment, à un moment de fête.
Les pastis et le pain étaient fait depuis le 24 décembre dans le four de la ferme. Mais ou avaient on pris la farine ? Gabriel avait dû aller au moulin, à Puyol, avec le blé qu’on avait substitué à la réquisition, pour se procurer cette matière première indispensable.
Les voisines pouvaient maintenant s’occuper à préparer les produits pour le repas. Il devait être à base de volaille, car il y avait de la volaille dans toutes les familles. Toutes les familles invitées avaient porté ce qu’on appelait le «  présent », c'est-à-dire leur participation en nature. C’est avec ces produits, vraiment « Bio » qu’on allait, pour plusieurs repas, restaurer une centaine de personnes au moins.
Le repas de noce devait se composer comme suit.
Un potage de poule, de la poule au pot farcie avec du coulis de tomate, une sauce encore de volaille et du poulet, ou canard rôti, pour se terminer par le fameux  « pastis » fabriqué par les voisines. Le vin blanc était aussi produit dans l’exploitation.
Toutes cette préparation culinaire se faisait sans la moindre machine, sans réchauds ou cuisinières au Gaz, ça n’existait pas. Tout se faisait au feu de bois.
Pas plus de frigidaires ni de congélateurs, il n’existait pas no plus, du moins dans notre région. Mais comme c’était l’hiver et qu’il faisait froid, la conservation des aliments ne posait pas trop de difficultés.
La veille du mariage, les jeunes gens avait coupé des pins et les avaient plantés à l’entrée de nos deux maisons. Les jeunes filles avaient préparé des guirlandes ce qui avaient donné aux deux maisons un visage tout particulier.
Le soir toutes ces personnes qui avaient travaillé pour ce « grand » jour partageaient un petit repas, préparé avec tous les produits de récupération, abats et autres,
C’était le début de la fête et toujours dans la clandestinité… ! Y pensait on ?
Le lendemain les deux familles des mariés arrivaient,(je me souviens en retard) soit de Tarbes, soit de Pau.
Nous les plus jeunes nous attendions les autres jeunes qui faisaient partie des deux familles. J’attendais avec impatience une nièce de Marcel, fille d’un militaire. Ca devait être ma cavalière… ! Elle s’appelait Liliane.
En effet Liliane était là et je n’étais pas un peu fier de promener, du haut de mes douze ans, ma première cavalière, douze ans aussi.
Raymond Lasmarrigues maire de Lacajunte devait célébrer le mariage civil et l’abbé Ader le mariage religieux.
Pour les personnes de Lacajunte c’était une vraie journée de fête, comme on n’en avait pas vécu depuis longtemps. Pour les personnes de la ville c’était une vraie découverte, tant par les rites, que par les repas.
Je ne me souviens pas très bien du déroulement de la journée, j’étais envoûté par Liliane. J’étais aussi son premier cavalier... !
Je me souviens que son père avait dit à mon père « je pense qu’on n’a pas encore besoin de les surveiller » Il avait du certainement avoir raison…. ! Je crois tout de même que nous avions commencé à danser.
Je me souviens aussi qu’il faisait très froid et qu’on portait des charbons dans la grange où on prenait le repas pour réchauffer un peu l’atmosphère.
Après le repas, c’était le bal, les jeunes n’avaient pas dansé depuis longtemps. Il y avait deux ou trois musiciens. Ils avaient joué jusqu'à fort tard dans la nuit pour le plus grand plaisir des invités.
Les mariés dormaient chez moi. Ils avaient quitté la fête bien plutôt que les autres, ce qui était normal.
Je me souviens aussi que vers deux heures du matin ils avaient eu droit à « la Roste » en bonne et due forme.

Pour les mariés ça commençait et pour nous ça se terminait, à regrets.
Tous les coins et recoins des deux maisons, avaient été aménagés pour loger toute la famille. Les équipements sanitaires de l’époque étaient un peu désuets. J’ai encore un peu honte aujourd’hui quand j’y repense.
Le lendemain tout le monde se retrouvait pour terminer les victuailles, avant que chacun reprenne la route vers son chez soi.
Il restait à tout remettre en l’état, ce qui n’était quand même pas une mince affaire. Surtout que l’ambiance du départ avait disparu.
Et nous les écoliers nous reprenions assez vite le chemin de l’école avec une certaine nostalgie de ces moments de fête.

Il y a 70 ans. Si quelqu’un m’avait dit à ce moment là que 70 ans après il me resterait la mémoire intacte de ces évènements et que j’écrirai ces souvenirs sur un ordinateur, je n’aurais pas compris grand-chose.
Pourtant c’est ça que je viens de faire, Merci mon Dieu.