Les Gransart au chalet à Lacajunte

Jeanne (née en 1887 à Paris) et Alphonse (né en 1891 à Cambrai, Nord) s’installent à Lacajunte au Chalet loué par Mme Sempé en 1945.

Ils ont subi la fermeture de leur usine de chapeaux située rue Charlot à Paris, suite à la faillite de leur banque. Ils viennent de vivre la période de guerre 1939-45 avec les restrictions et la vente de leur maison. Alphonse avait été gazé à la guerre de 14-18, il est très malade, il fait de fortes crises d’asthme. Le médecin conseille de s’installer dans ce coin de Chalosse qu’ils ont connu par le mariage de leur fils Jacques avec Odette Dumartin du Fêt à Arboucave. A l’époque il n’y a pas d’assurance ni de retraite…

Arrivés à Lacajunte, ils font tout pour être bien accueillis. Jeanne va de ferme en ferme, ramasse des pommes de terre, échange des journaux contre œufs et légumes, garde un petit dans son landau ou dans son parc le temps que la maman « soigne » la basse-cour. Et puis elle distrait beaucoup par ses anecdotes et ses chansons. Alphonse répare les moteurs de quelques voitures, car il avait été garagiste, les fusils de chasse et les vélos. J’ai le souvenir d’aller livrer un vélo à pieds car Jeanne ne faisait que de la marche !

Ils ont été vite appréciés et invités aux pelères, dépiquages, vendanges. Alphonse vivant au bon air (encore) des pins était ressuscité. Il tirait les sacs près des batteuses, tenait les pattes du cochon sur la « maie ». C'était une force de la nature et il était volontaire. Il le fallait pour être parti en 1912, engagé dans la campagne du Maroc, avec Lyautey ; et surtout en 1914 dans les tranchées. L'éducation d'un garçon à l'époque c'était la Patrie !

Au chalet la vie était simple et gaie. Il y avait une vache, deux brebis et des poules. Pour nous, les enfants, et pour nos parents c'était de vraies vacances. L'amitié de tous, les bons produits, l'eau au puits communal. Tout basculait de la vie parisienne.

Et puis Mme Sempé a vendu et la municipalité a acheté le chalet pour en faire la mairie qui était installée dans le presbytère. C'était en 59-60. Jeanne et Alphonse, contrariés, commencent à chercher une autre location et Alphonse disait qu'il construirait bien une petite maison... Jeanne et Emma Dubroca, que nous appelions Nana, étaient très amies. Un jour elle est arrivée au chalet, décidée comme elle savait l'être : "Jeanne et Alphonse vous ne partirez pas de Lacajunte ! Je vais voir avec Guy et Poupette. Je vais vendre la petite vigne et vous allez pouvoir construire votre petite maison." Emma pouvait être ferme mais elle avait beaucoup de cœur. Une « daoune » qui menait bien sa propriété avec son fils Pierrot après le décès de son mari que mes grands-parents avaient bien connu et estimé. Alphonse avait refait entièrement le moteur de sa voiture car il était souvent sur les routes. Puis il entretenait celle de Pierrot.

Anecdote sur la vente du chalet : avec Jean-Pierre nous sous sommes mariés en juillet 1968.... au presbytère, soit huit ans après la vente !!! Ah dans les municipalités il s'en passe des choses  que le citoyen ne suit pas toujours.

Bref, quel bonheur retrouvé au « chalet  (pour le souvenir)  Eliane » car tout le monde savait que j'étais très attachée, comme mes parents, à cette nouvelle habitation.

Nous avions toujours la joie d'aller de ferme en ferme, Jeanne galopait mais Alphonse était de plus en plus malade. Lui qui avait fait trois guerres, il avait été terrassé par la mort de son petit fils Guy en Algérie. Il est décédé le 2 octobre 1968, deux mois après notre mariage.

Jeanne a continué sa vie seule, aidée par Jeannette et Gabriel, puis de plus en plus avec nous. Elle s'est éteinte près de moi le  21 janvier 1982.

J'ai aimé et admiré mes grands-parents. J'écoute et observe la société : toujours en train de râler, il en faut toujours plus, on se rend malheureux pour un rien. Eux qui avaient connu la fortune à Paris, la grande vie au Perreux-sur-Marne (94). Jeanne  parlait anglais et jouait du violon dans les orchestres. Comment pouvaient-ils avoir encore tout cet amour, cette joie, l'accueil, avec rien ? Quelle richesse d'éducation pour moi pendant les vacances en retrouvant nos amis qui travaillaient la terre et s'occupaient des animaux, de la vigne, du maïs sans machine, avec des bœufs et la sarcleuse ! Alors qu'à Paris tout était motorisé, nous avions le téléphone, beaucoup de commodités. Je pense que cet équilibre m'a servi toute ma vie !

En écrivant ce texte je pense beaucoup à tous ceux qui nous ont accueillis avec leur vin au tonneau, les confitures maison, les tartines de graisserons : des choses simples données avec cœur.

Je n'oublierai pas Lacajunte.

 

                                               En hommage à Jeanne et Alphonse Gransart

                                               Éliane Canu – Deshayes

Avril 2011